Le viol de Thétis, mère d’Achille

Il s’approche doucement de la déesse. Le vacarme des vagues qui s’écrasent sur la plage masque le bruit de ses propres pas. Il tente de ne pas se laisser distraire par la beauté de son corps. Pour l’heure, il doit se concentrer de toute son âme sur le combat qu’il devra bientôt mener.

Les cheveux ruisselants, elle se tient face à l’océan.

Il attend d’être à moins de deux mètres pour se jeter sur elle et la rendre prisonnière de ses bras. Il sert très fort et ferme les yeux, s’apprêtant à affronter la contre-attaque de la déesse.

Thétis tente de se dégager, mais la poigne implacable de son assaillant lui ôte tout espoir de fuir. Il ne lui reste pas d’autre choix que de se transformer. Elle sait qu’elle a droit à six essais. Ainsi est la règle fixée par les dieux de l’Olympe.

L’homme sert encore plus fort quand il sent la peau douce de Thétis se changer en pelage roux et rêche. Entre ses bras, elle devient sanglier. Ses défenses lui arrachent les chairs. La douleur lui fait pousser un cri mais il ne relâche pas son étreinte.

Le centaure Chiron l’a prévenu : il devra faire face à six assauts d’animaux différents.

Thétis enrage. Malgré la puissance qui bouillonne dans ses veines, elle est réduite à des gestes vains. Elle tente le lion. À la rage s’ajoute l’humiliation, quand elle entend son agresseur lui susurrer à l’oreille qu’elle sera bientôt à lui. Et ses bras, ses maudits bras qui lui compressent le ventre ! De sa patte arrière, elle parvient à écorcher la jambe de l’homme. Il tombe dans le sable mais ne relâche pas son étreinte.

Sous l’œil implacable d’Hélios, qui verse sur cette lutte insensée les derniers rayons du soir, le combat continue à terre.

Le pelage doux du lion se transforme en la peau lisse et visqueuse d’un dauphin. L’homme éclate de rire. « Est-ce là tout ce que tu as en réserve !? » lui hurle-t-il à l’oreille. Thétis se débat frénétiquement, mais, malgré ses efforts, elle ne parvient toujours pas à renverser le cours du combat.

Alors elle se fait serpent et s’enroule autour des jambes de l’homme. Mais il maintient sa pression au niveau de sa tête. Impossible, hélas, de se retourner et de planter ses crocs emplis de venin dans la chair ennemie…

Elle devient aigle, voletant furieusement des ailes. Avec ses serres, elle accroche la cuisse de l’homme qui pousse un hurlement.

« Tiens bon. » C’est, à ce moment précis, la seule pensée qui parcourt l’esprit de l’homme. Il sait que le combat est bientôt fini. Thétis n’a plus qu’une dernière transformation possible.

Et elle devra, après ça, se soumettre à sa volonté.

D’aigle, la déesse se transforme en seiche. Elle envoie un nuage d’encre sur le visage de l’homme. Cette fois, il ne crie pas. Il se contente de fermer les yeux et de serrer, serrer toujours plus fort le corps de sa proie.

Peu à peu, Thétis arrête de se débattre. Il lui faut encore un peu de temps avant d’admettre qu’en cet instant précis, son destin vient de basculer. Elle ne connaît pas l’homme qui l’agrippe, mais elle sait déjà qu’elle le hait aussi fort qu’une déesse peut haïr. Elle le hait à en faire gronder l’océan, trembler le sol et frémir l’humanité tout entière.

Malgré sa haine, Thétis doit se soumettre. Elle reprend sa forme de femme. Alors, tout doucement, l’homme relâche son étreinte. Il se permet même d’enfouir son nez dans la chevelure de sa future épouse, et de profiter de son odeur divine.

Il lâche totalement Thétis et se met sur le dos. Le combat a duré des heures et son corps ressemble à une plaie ouverte. La nuit est absolument noire. Même Séléné, la personnification de la Lune, a préféré ne pas assister à ce honteux combat. Face à la voûte étoilée, il éclate de rire. Mais c’est un rire douloureux, presque triste. Au fond de lui, il aurait aimé que cela se passe autrement. Il se console en se disant qu’après tout, il n’a fait que suivre la règle édictée par les dieux.

Thétis est assise, à côté de lui. Malgré l’obscurité, elle tente d’observer l’homme à qui elle est désormais liée. Il n’est ni beau, ni laid. Elle lui demande comment il s’appelle, et sa voix résonne en lui comme la douceur du miel.

— Je suis Pélée, roi de Phtie.

Un roi. Évidemment. Qui d’autre qu’un roi serait assez orgueilleux pour s’unir à une divinité ?

Car Thétis n’est pas n’importe qui. Son père est Nérée, le Vieillard de la Mer. Dès sa plus tendre enfance, Thétis règne sur la mer, mêlant son corps à l’écume. Elle est eau, elle est vague, elle est poisson. En empoignant la déesse, c’est l’océan entier dont Pélée s’est saisi.

Tout en pansant les plaies de Pélée, elle songe à sa vie passée, à sa liberté perdue. Surtout, un frisson lui parcourt l’échine quand elle pense au moment où elle devra s’unir à lui. Plus elle attendra, plus ce sera difficile… Alors, à quoi bon attendre ? Dans le noir, le corps agité par le combat épique qu’elle vient de vivre, Thétis offre son corps à Pélée. De cette union naîtra quelques mois plus tard Achille.

Quelques jours plus tard, les noces de Pélée et Thétis sont organisées en grande pompe. Toutes les divinités sont conviées à ce banquet somptueux. Toutes ? Non. Éris, la déesse de la Discorde, est tenue à l’écart. Mais elle ne se laisse pas évincer aussi facilement. Elle arrive parmi les convives, une pomme d’or à la main.

— Cette pomme, dit-elle, seule la plus belle d’entre vous la gagnera !

Athéna, Héra et Aphrodite revendiquent ce statut. Les ennuis commencent quand, pour les départager, on fait appel à un berger au cœur pur nommé Pâris… La guerre de Troie approche à grands pas.

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